Après une première approche frustrante en 2006, la ville était alors en plein travaux et la plupart des édifices inaccessibles, il fallait revenir vers Teruel, haut-lieu de l’épanouissement de l’Art Mudejar et ville symbole d’une impossible victoire de l’armée républicaine au cours de la guerre d’Espagne de décembre 1937 à février 1938.
C’est aussi l’occasion de parcourir cette belle et âpre région du Maestrazgo, terre templière s’il en fut.
Pour être passée plusieurs fois au pied d’Alcaniz en faisant route vers Saragosse, l’envie était forte d’en faire la première étape de ce périple composé pour 4 journées.
Franchissant la frontière, au Perthus par exemple, on file en direction de Barcelona que l’on contourne par le nord sur l’autoroute puis, ignorant Tarragona déjà décrite par ailleurs on quiite l’autoroute AP7-E15 à la sortie 38, avant Tortosa.
De là, par la C44 on pse dirige vers le charmant village de Miravet qui domine l’Ebre. Pour le plaisir, on pourra faire un petit détour par Ginestar, juste pour franchir l’Ebre par le bac, qui, sans moteur, simplement par la puissance du courant, assure le transbordement sur l’autre rive.
A défaut, on rejoint Miravet par Mora la Nova puis par Benissanet par la T324.
Miravet, position stratégique sur le fleuve est un charmant village dominé par une place forte qui, avant d’être templière, fut bien sûr arabe. Sur le chemin qui y mène, une pause sera accordée pour rendre visite à l’église romane de San Joan ; de là, on jouit d’une belle vue sur le fleuve qui s’étire paresseusement dans la plaine.
Quittant Miravet par la N230, on rejoint El Pinell de Brai où fut édifié une des nombreuses caves coopératives dans le style“Moderniste » que l’on doit au talent de l’architecte César Martinell (élève de Gaudi) et qui fut érigé entre 1917 et 1922. Le lieu semble un peu à l’abandon, écrasé par la chaleur et bien sûr, fermé au moment de notre passage… (celle de Gandesa, à 10 Km au nord est également remarquable).
On est là sur les lieux où se déroulèrent les violents combats de la bataille de l’Ebre, de juillet à novembre 38, et qui sonnèrent le glas des espoirs républicains…
Par un lacis de petites routes des plus agréables qui nous mène par les “terra Alta“ ; tous proches, visible de la route, surgissent les vigoureux blocs monolithiques, les Roques d’en Benet (1016 m).
De là, on fera un écart sur la droite pour visiter Horta de San Joan.
Horta de San Joan est un charmant village avec, en son centre, la Plaza Mayor bordé de larges arcades et qui eut le privilège d’accueillir Pablo Picasso à deux reprises. Une halte désaltérante s’impose et de la Plaza, on descendra les marches qui mènent dans la salle profonde et tout en fraîcheur d’El Celler de Casa Pessetes. On rejoint ensuite le pittoresque village de Cretas dont l’église est ornée d’une façade de style Plateresque (1556), composite, comme il se doit…
On descend au sud, en direction de Valderobbres, en bordure du Rio Mataranna et coiffé du château des Heredia intimement lié à l’église Santa Maria (XIV°) et qui constitue un magnifique ensemble gothique. Tous ces villages ont infiniment de charme, comme celui de La Fresneda dont la rue centrale est bordée de larges portiques, de beaux palais de style aragonais faisant l’honneur de la Plaza Mayor. On est sur les terres de l’Ordre de Calatrava dont les écussons ornent la Maison de la commanderie (XVI°).
Sur la route qui mène à Alcaniz N-232, on aperçoit, en contrebas le village de Valdealgorfa surmonté d’un beau clocher de style Mudejar.
Au terme de ce beau cheminement on parvient à Alcaniz, capitale du Bas-Aragon et surtout à son Parador, point marquant de cette ville à peu près sans intérêt…
Alcaniz se résume à la plaza de Espana qui s'ouvre sur l'ancienne bourse du XV° siècle, la Lonja, l'Alyuntamiento (hôtel de ville) du XVI°) ensemble surmonté d'une galerie haute, et enfin sur le parvis de l'imposante Collégiale Santa Maria (1736), au lourd portail baroque. Visite rapide du centre-ville, donc, qui permet de consacrer tout son temps au château de Los Calatravos et à la tour gothique de l'Hommage qui le domine.
Le château est mentionné pour la première fois en 1157 avant qu'Afonso II n'en fasse donation en 1179 à l'ordre religieux militaire de Calatrava. Cet ordre est né de l'incapacité des Templiers à tenir la citadelle de Qual'at Rabah, reprise aux arabes en 1147. En effet, Raymond, abbé du monastère cistercien de Fitero relèvera le défi de créer une troupe armée pour tenir la place et y parviendra, ayant réussi à constituer une force armée de 20 000 moines soldats.
L'ensemble architectural est constitué par le palais des commandeurs, rénové au XVIII° dans le style baroque, agrandi lors de l'installation du Parador puis par les bâtiments religieux et conventuels, enfin par le donjon qui domine le tout. Appelé “ Tour de l'Hommage“, ce donjon construit au XIV° est paré de remarquables peintures exécutées entre 1290 et 1375. Le traité, tout en finesse a gardé toute sa fraîcheur et sa force d'évocation ; on peut y voir de nombreuses scènes de batailles mais aussi des représentations liturgiques traditionnelles. Un pur moment de bonheur qui à lui seul justifie le détour par Alcaniz !
On quitte Alcaniz et la fraîcheur du patio de l'hôtel pour engager la route qui va nous faire culminer à 1450 m d'altitude au puerto de Majalinos. Petites routes au programme mais, dans l'ensemble, d'excellente qualité.
Première étape, Calanda ; nous sommes sur la “route des tambours“ où, pendant la Semaine Sainte, des milliers de tambours se réunissent pour marteler leur instrument, évoquant le tremblement de terre au terme de la Passion. Quittant la N 211, on va musarder par la TEV 8215 (plus le nom est long plus les routes sont petites !) et traverser Berge où se dresse en bord de route la belle église de style Mudéjar de “San Pedro martir“. La petite route se reconnecte brièvement sur la N211 pour éloigner rapidement vers le sud sous le code A1702 en direction d'Ejulve. Devenue A2403, la route s'élève maintenant régulièrement pour franchir le Puerto de Majalinos (1450 m) avant d'aborder la descente qui mène à Aliaga . Cette petite bourgade connut son heure de gloire au IIIème av. J.C. lors de sa fondation par Hamilcar Barca qui , après ses déboires consécutifs à la première guerre punique de taiila un petit empire en Hispanie. Aliaga s'appelait alors Laxta de Ptolémée. Devenue bien o-lus tard ville arabe, elle échoua aux mains des templiers en 1163. Surplombant la petite cité, il reste une partie des murailles, encore évocatrices. L'étape suivante, avant de rejoindre la N420 sera pour le village d'Hinojosa de Jarque, orné à sa sortie par l'original ermitage de la Virgen del Pilar (XVII°), joliment restauré.
Après tous ces détours dans des paysages tourmentés et pittoresques, la N420 file droit au sud pour rejoindre la plus petite capitale de province espagnole, Teruel.
Lors d'une précédente visite en 2007 ( voir sur ce même site “Sur les traces du Cid“), il était difficile de porter un regard sur la ville alors en travaux de restauration en tous lieux...
Cinq après, les édifices rénovés s'offrent plus aisément au public et Teruel, humble capitale provinciale vaut largement qu'on lui consacre une visite approfondie tant pour son patrimoine Mudéjar que pour quelques échantillons sympathiques du Modernisme.
Ville stratégique au cours de la guerre d’Espagne, Teruel sera successivement prise et reprise par l’armée républicaine et par les nationalistes entre le 15 décembre 1937 et le 22 février 1938, date à laquelle la ville tombe définitivement aux mains des nationalistes…
Au sortir de ces combats, Teruel est durement touchée et la plupart des édifices gravement endommagés. C’est donc une ville reconstruite et patiemment restaurée que l’on visite 70 ans plus tard et qui offre l’image d’une ville paisible, forte d’un patrimoine architectural significatif. Ici, l’art Mudéjar* règne en maître et montre ce que fut la synthèse réussie de deux cultures qui se fondirent en une seule pour nous offrir des édifices d’une grande richesse.
On visitera à Teruel, en partant de la Place del Torico (quelques belles maisons restaurées de tendance Art Nouveau), la Cathédrale (superbe plafond artesonado du 13ème siècle) et son palais Episcopal. Ensuite, on se dirige vers l’église de San Pedro (14ème siècle) avec ses belles tours Mudéjares, qui abrite aujourd’hui un petit musée et le mausolée des "Amants de teruel" , jolie légende d’un amour impossible au 13ème siècle.
Ce troisième jour, traversée du Maestrazgo, belle région àpre et montagneuse pour rejoindre Benicarlo, station balnéaire sans le moindre intérêt, dont le seul avantage, outre de compter un Parador contemporain des plus confortables est d'être à seulement 8 km de la ravissante bourgade de Peniscola et de pouvoir ainsi la visiter dans la fraîcheur du matin et, surtout, avant l'arrivée de la horde touristique...
Traversée ouest-est tout à fait intéressante donc, avec une première étape à Cedrillas poour y découvrir une invraisemblable forteresse implantée sur une vaste terrasse naturelle.
Classiquement il s'agit d'une citadelle almoravide autour de laquelle dés 1118, “Alfonso le Batailleur“ mena bataille comme il se doit et fut définitivement reprise lors de la reconquista en 1236.
La route (A226) de fort bonne qualité s'élève progressivement jusqu'à l'altitude de 1700m, au Puerto de Villaroya, offrant au passage une vue panoramique de toute beauté. Amorçant doucement la descente, on rejoint Cantavieja, autre village fortifiée de grand intérêt, perché à 1200m d'altitude. De belles rues médiévales traversent le village de part en part, avec au centre une plaza Mayor à arcades. Plus bas on rencontre le village de Mirambel, qui a profité d'une restauration de qualité. Encore protégé par son enceinte du XIII°, le centre du village regorge de vieilles demeures dont certaines sont ornées au dernier niveau de la traditionnelle galerie percée d'arcs en plein cintre.
Morella que l'on rejoint en faisant jonction avec la N232 est toujours aussi captivante ; (voir sur ce même site “Sur les traces du Cid“- à noter que 'hôtel Cardinal Ram est aujourd'hui fermé pour travaux). C'est un plaisir au terme d'une si belle route ponctuée d'étapes toutes riches de patrimoine et d'histoire que de rejoindre le Parador de Benicarlo et de profiter de sa piscine au milieu d'une urbanisation absolument sans charme et sans aucun intérêt ; cela repose l'esprit..
Sans tarder donc, il faut profiter de la torpeur matinale et de la température encore clémente pour se transporter vers le sud jusqu'à la presqu'île de Peniscola. Lieu de peuplement historique des ibères, Peniscola connut une activité commerciale avec les phéniciens. Plus tard, la légende dit que c'est en ce lieu qu'Hannibal jura une haine éternelle envers les romains... Après avoir subi l'occupation maure de 738 à 1233, c'est Jacques 1er, dit le conquérant qui reprit possession des lieux pour le compte de la chrétienté. Entre 1297 et 1304, les templiers bâtirent la citadelle que nous voyons aujourd'hui sur la structure du château arabe ; les travaux furent achevés par les Chevaliers de Montesa. Peniscola s'est surtout manifestée comme étant le lieu où se réfugia le Pape léon XIII au moment du grand schisme d'occident qui compta jusqu'à 3 papes simultanés ce qui fait quand même beaucoup pour un seul poste ! Le lieu est sublime et semble ancré dans la mer. On parcourt avec bonheur cet ensemble parfaitement restauré et très évocateur.
Il faut penser maintenant au retour et entamer la longue remontée jusqu'au Perthus, presque comme Hannibal, les éléphants en moins, toutefois.
Sur le chemin, une halte agréable pour rester dans l'esprit moyenâgeux se fera à Montblanc, cité médiévale de première importance. Le lieu, peuplé à partir de l'an 1080 devint rapidement une place stratégique entre Lleida et Tarragone. Fortifiée dés la fin du XII°, elle connut une belle période de croissance au XIIIème siécle poue connaître son apogée au milieu du XIV°.
Montblanc conserve encore la presque totalité de son enceinte qui se parcourt au travers de vieilles rues médiévales pleines de charme, bordées de nombreux palais médiévaux.
Encore une étape majeure avant de se laisser aspirer par le ruban autoroutier, ce sera pour le monastère royal de Poblet sur la “Ruta del Cister“.
Considéré, à juste titre comme l'un des plus beaux monastères d'Espagne (mas ils sont si nombreux et si beaux...) il faut le considérer comme le Panthéon des rois d'Aragon ce qui explique qu'il ressemble plus souvent à une citadelle qu'à un monastère. L'esprit cistercien n'y est plus tout à fait ; on se sentira plus proche de l'esprit de Clairvaux à Santes Creus ou encore à Vallbona de los Monges, tous proches.
* Le mot Mudéjar vient de l’arabe (mudayyan, «pratiquant»), qui donna, par altération en espagnol, mudéjar. C'est le nom donné aux musulmans d’Espagne devenus sujets des royaumes chrétiens après le XIe siècle, pendant la période de tolérance. Disposant d'un statut particulier, les mudéjars formèrent des îlots de l'Islam jusqu'à ce que, placés par les autorités chrétiennes devant l'alternative de la conversion ou de l'exil, ils eussent disparu définitivement d'Espagne.
Les mudéjars parlaient le castillan ; s’ils avaient oublié leur langue maternelle, ils continuaient cependant d’écrire la langue de leurs ancêtres. Pour désigner le castillan ils utilisaient le mot aljamía, de l’arabe « al-’adjamiyya » signifiant "paroles d’étranger".La politique de pureté de sang qui fut mise en œuvre à partir du XVe siècle vit se succéder les persécutions contre cette communauté. Le 14 février 1502 est promulgué un édit qui impose aux mudéjars de Castille de choisir entre la conversion et l'exil. Sous le nom de morisques, d'importantes communautés de nouveaux convertis se maintiendront en Espagne avant de disparaître totalement à la suite de l'édit d'expulsion de 1609.
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